Canton de Dijon 6

La déchéance de la nationalité : symbole ou retour vers le futur ?

La déchéance de la nationalité : symbole ou retour vers le futur ?

Depuis le 13 novembre 2015, la France semble dans un doute certain quant à sa manière de faire face au terrorisme. Nous sommes passés d’un va-t-en-guerre à l’état d’urgence à un projet de révision de la constitution avec son symbole le plus fort : la déchéance de la nationalité. Des décisions fortes prises sans nul doute sous l’effet de l’émotion et de la résistance face à l’horreur et la haine.

Ce contexte chaotique n’a pourtant pas embarqué l’ensemble de la société. Pis, il a été facteur de fractures importantes dans l’ensemble du pays. Des fractures caractérisées par l’amplification du vote en faveur de l’extrême-droite lors des élections régionales de 2015 et des divisions au sein des appareils politiques. Le tout dans une vision singulièrement cloisonnée.

Aussi, le chef de l’État lors du congrès de Versailles du 16 Novembre 2015 a présenté une de ses mesures phares la déchéance de la nationalité pour les binationaux. De l’avis de la majorité des commentateurs politiques, cette mesure relève plus du symbole que d’une recherche efficace de lutte contre le terrorisme. Alors pourquoi tant de fermeté sur ce symbole qui met à mal les fondements constitutionnels de notre République et de son idéal sociétal ? Et oui, nous devons rappeler, à toute fin utile l’article 1 de la constitution du 4 Octobre 1958 qui stipule que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Nous pouvons ainsi appréhender les conséquences d’une telle modification constitutionnelle sur le comportement judiciaire et répressif. Bien que nous ne soyons pas sous le régime de la dictature, il ne peut pas être exclut l’utilisation outrancière d’une telle mesure.

Par ailleurs, le modèle social français étant en souffrance, la perspective de la déchéance de nationalité pour les binationaux pourrait conduire à un sentiment profond de différenciation, une stigmatisation encore plus forte. Un tel projet favoriserait donc les conditions d’un repli sur soi plus important. Un comble lorsque Manuel VALLS, premier ministre, nous parlait d’apartheid et de ghettoïsation des quartiers en Janvier 2015. Sur ce sujet, le risque de repli sur soi consécutif à une stigmatisation est d’autant plus dramatique lorsque le traitement pénal et judiciaire se distingue pour ce qui concerne l’évasion fiscale ou des abus de biens sociaux. Des délits et des crimes pouvant porter, à mon sens, atteinte à la nation. Car n’en déplaisent à certains, l’atteinte à la nation ne peut pas s’apprécier sur le seul critère du nombre de morts.

Il est donc, pour le moment, important de nommer les destinataires de cette déchéance de nationalité au-delà du sens général des binationaux à savoir les français se revendiquant de l’Islam. Osons le dire ! Et ce à l’encontre de l’ensemble des données quantifiées et qualifiées sur la qualification des actes terroristes en France. En effet, les actes terroristes islamistes ne représentaient qu’ 1% de l’ensemble des actes terroristes répertoriés en France (source : Nouvel Obs)

Le projet de déchéance de nationalité peut inquiéter. Car dans une forme plus généralisée, il peut comporter des effets non anticipés. Il y a quelques mois, beaucoup de français se sont mobilisés suite à l’affaire des fuites de la NSA ou des Wikileaks. Quelles auraient été les conséquences, d’une déchéance de la nationalité, si Éric SNOWDEN et Julien ASSANGE étaient binationaux franco-américain ou franco-suédois ? Je laisse ici les personnes favorables au projet de déchéance de la nationalité répondre à cette question.

Les symboles m’ont toujours fait peur autant que les slogans politiques : « Le changement c’est maintenant » ou ce fameux « La France tu l’aimes ou tu la quittes » ? Pour revenir sur ce dernier, je pense qu’il a atteint le paroxysme de l’hypocrisie politique-politicienne. Il m’a même souvent questionné en ces termes : Peut-on aimer la France et la critiquer ? Doit-on aimer la France pour ce qu’elle représente ou pour ce qu’elle est ? Doit-on aimer la France pour ses valeurs constitutionnelles ou pour l’institutionnalisation de la pauvreté ? Doit-on aimer la France pour la liberté qu’elle offre ou pour la panne de son ascenseur social ? …

Alors non, le débat n’est pas la France tu l’aimes ou tu la quittes. L’amour ne se prédit pas, il se construit et c’est lui qui vous donne le désir et la force de construire. La division ne doit pas l’emporter sur la volonté de construire une France aimée. Mais force est de constater qu’au fil des jours, des semaines et des mois, nous nous dirigeons vers davantage de stigmatisations et donc de violences psychologiques. Celles que l’on ne voit pas mais qui font tant de mal. Celles qui annihilent toutes volontés de redresser le torse, de communier avec l’Autre, celles qui laissent le plus de place à la haine.

Cette déchéance de la nationalité pose beaucoup plus de problèmes qu’elles n’offrent de solutions. Mais ce projet n’objective-t-il pas d’autres ambitions ? Pour ma part, je pense qu’il ouvre la porte à une orientation formelle et nouvelle du socialisme français : le socio-libéralisme. Peut-être la future identité du Parti Socialiste ? Mais bien plus que la construction d’une nouvelle force politique française, ce projet de déchéance de nationalité constitue le retour à une politique de socialisation basée sur l’assimilation culturelle des binationaux. Un retour vers le futur pour répondre aux échecs des politiques d’intégration et de socialisation. Avec un paradoxe et pas des moindres : les sujets de cette socialisation sont français, nés en France et ont grandi en France.

Pour rappel, l’assimilation se définit comme une forme d’acculturation, au cours de laquelle un individu ou un groupe abandonne totalement sa culture d’origine pour adopter les valeurs d’un nouveau groupe. Le principe de l’assimilation n’est pas nouveau. Il figure notamment dans une ordonnance du 19 Octobre 1945. Ce retour vers le futur répond, à mon sens, à un modèle de socialisation en pleine explosion où la société ne suffit plus à sa propre construction, où la profession n’est plus le processus social de structuration et où le politique s’enferme dans des logiques électoralistes.

A l’inverse de l’intégration qui exprime une dynamique d’échanges, dans laquelle chacun accepte de se constituer partie d’un tout l’assimilation, peut faire l’objet d’un programme social structuré. Aussi, à un degré mesuré, nous pouvons constater que depuis Janvier 2015 et les attentats contre Charlie Hebdo, l’assimilation est revenue au centre des débats à travers le mot laïcité et l’ensemble des mesures qui l’a accompagné. Et en cela nous pouvons y voir un réel danger et un possible renoncement à l’ouverture culturelle.

La laïcité est donc devenu le quatrième pilier de notre République après la liberté, l’égalité et la fraternité. Mais nos politiques contemporaines n’ont pas réussi à revivifier la laïcité. Ils l’ont ainsi sorti de son contexte de 1901 puis de 1905 confondant neutralité et disparition du champ visuel. La neutralité porte ses conditions de réussite et elle ne signifie pas absence de contrôle. Bien au contraire, pour qu’une neutralité fonctionne, elle doit s’apprécier sur des objectifs spécifiques, simples, mesurables, réalistes, temporisés et échéancés dans le temps.

Je reste persuadé que les échecs répétés en matière d’intégration ne doivent pas nous conduire à ramener des morts les dispositifs du passé. Ils doivent au contraire nous amener à réfléchir sur des dispositifs audacieux faisant la place au maintien des différences dans le respect des règles de fonctionnement de notre société.

La France est le pays des lumières. A nous de les rallumer. Celles qui nous poussent à être ingénieux. Notre modèle de socialisation doit être repensé avec des instances plus représentatives. Nos politiques sociales doivent capitaliser l’expérience acquises pour ambitionner des grands projets sociétaux. Le travail doit être repenser avec des politiques managériales nouvelles. N’ayons pas peur de l’ambition partagée. Construisons notre futur non pas sur la peur, sur le symbole mais sur des projets réels de cohésion, de bien-vivre ensemble et d’acceptation de la différenciation. Nous devons en finir avec la sanction de la différence et son lot de discriminations. Car le vrai terreau du terrorisme, c’est le rejet de l’autre, l’exclusion. Et la déchéance de la nationalité ne luttera pas contre cela car elle n’est pas proactive. Elle n’anticipe pas, elle réagit.

Combattre le terrorisme c’est créer les conditions de réussite de chaque citoyen. C’est permettre à ce dernier d’occuper des postes aussi divers qu’ouvrier, employé, cadres, responsable associatif, élus, … Permettre à chaque citoyen de s’épanouir professionnellement et personnellement.

Voici, le vrai challenge de notre République.